STAY ALIVE [Kian]

Comme d’habitude, Kian était debout aux aurores. Evidemment, depuis qu’il était ici, ses cauchemars s’étaient renforcés, il s’occupait donc comme il pouvait en attendant. Il avait compté il avait 7 nouveaux bleus sur le corps. Maudit cauchemar. Assis sur son lit, dans son bungalow, il cherchait ses médicaments dans sa trousse de toilette, et difficile de les trouver. Il les avait découpés par deux, comme son toc le voulait. Il rangeait tout deux par deux. Pour les chaussures ça allait, évidemment, mais par exemple, pour une télécommande, il en achetait deux pour pouvoir les ranger ensemble. C’était comme ça, c’était machinal. Les médicaments enfin trouvés, il s’achemina vers sa salle de bains, où un verre se trouvait. Le remplissant minutieusement jusqu’à une ligne pré-dessinée, il but l’intégralité après avoir enfourné les médicaments dans sa bouche. Il en avait 7 à prendre. Comme chaque matin. Une fois cela fait, il avait regardé l’heure : il était bien trop tôt pour aller travailler, ça ne servait à rien d’y aller en avance. Mais il n’était pas non plus nécessaire de rester dans son bungalow. Après une brève douche, il s’habilla rapidement et sobrement, vêtu de noir et de blanc, il se devait de respecter ces couleurs chaque jour où il travaillait, et il sortit faire un tour sur l’île. Ca le déprimait de rester dans cet endroit, qui lui rappelait bizarrement trop sa chambre. Sortant à l’air libre, il se sentait bien mieux. Marchant à travers la forêt qui était censé être un endroit hostile, il avait l’air bien plus à son aise. Le matin faisait son apparition sur l’île, les mains dans les poches, d’un pas tranquille, il rejoignit l’hôtel.

« Au boulot Kian… » Il fit un détour par les toilettes avant d’aller à la cuisine, il avait besoin de se laver les mains, et hors de question de les laver ailleurs que dans les éviers des toilettes, qu’on ne lui dise pas qu’il ait pourri la cuisine en arrivant. Ouvrant les robinets, ses longs doigts se mêlaient entre eux, sous l’eau froide qui rafraichissait ses mains. La sensation était agréable, et il fixait étrangement le miroir pendant ce temps. Il se regardait, il avait l’air de se demander qui il était. Les yeux rivés dans son reflet, il avait en fait été alerté par un bruit qui venait non loin de là. Un cri. Oui ça ressemblait à un cri. Alerte, mais sceptique, il se disait que son imagination lui avait joué des tours, ou peut être que c’était encore quelqu’un qui se divertissait comme ses parents l’avaient fait lorsqu’il était âgé de 4 ans. Ca semblait, être autre chose. Arrêtant l’eau qui coulait maintenant sans vergogne alors qu’il ne se lavait plus les mains, il les essuya rapidement, avant de finir de les sécher sur son jean noir. Pas très élégant, mais il semblait que la foule s’amenait, alors qu’il n’était pas encore l’heure, et ayant une sainte horreur du monde, il devait se dépêcher de regagner le restaurant. Il trouva là-bas un de ses collègues qui tentait de calmer le jeu. « Qu’est ce qu’il se passe ? » On lui signifia qu’il y avait un mort apparemment. Il semblait intrigué. Mais il y avait trop de monde pour constater les dégâts, et on lui demandait de s’occuper des autres dans le hall d’entrée. « Mais je… » Il s’arrêta, il venait d’entendre cette voix effrayante. La même que le coup de téléphone. Survivre ? C’était quoi ces conneries ? De toute façon il était employé, il ne risquait rien, mais maintenant il devait rassurer tout le monde. C’était pénible pour lui de voir que les gens s’ameutaient ici, alors qu’il arrivait dans le hall, il prit une grande inspiration, et essaya de se faufiler quelque part où il pourrait être tranquille, tout en jetant un œil aux personnes. Etrangement serein un peu plus tôt, le stress commençait à monter, il essayait de ne pas prêter attention aux gens, lui l’oclophobe, qui sentit bientôt une main sur son épaule, et qui se retourna brusquement sans demi-mesure, et alors qu’il allait dire qu’il était pressé, qu’il n’avait pas le temps de rester, qu’il avait du boulot, il se figea. Elle ici. Catarzina. Son amie d’enfance, sa seule et unique amie même. Elle le serait même dans ses bras, et c’était une drôle de surprise que de la trouver ici. « Cat’… surprenant. Tu… enfin c’est peut-être pas le moment approprié, mais tu fais quoi ici ? » Elle ne travaillait pas ici, il en était plus que certain.

Elle avait reçu une invitation, ce qui signifiait qu’elle avait été espionnée, suivie, et tout ce qui allait avec. Un peu comme Kian, mais à une autre place. Celle des invités. Quelle était la différence ? Il travaillait elle se payait des vacances. Mais maintenant, il y avait autre chose…Les invités semblaient être des cibles, tandis que lui se sentait à l’abri, quoiqu’il ne soit pas effrayé à l’idée de mourir. En revanche, il se disait qu’elle devait se sentir en danger, et connaitre l’angoisse, qu’il ne connaissait pas aussi grâce à ses médicaments miracles. Il acquiesça à ses dires, et il se posait évidemment la question : « Et comment t’as été contactée ? Je veux dire l’invitation, tu l’as reçue par hasard ? » Le doute était permis, après tout, ils ne s’étaient pas revus depuis un moment, et ils se retrouvaient ici, au milieu d’un meutre, c’était quand même étrange. Les questions s’enchainaient entre eux, ils s’étaient perdus de vue avec les années. Disons que Kian était en partie responsable, n’ayant pas voulu souffrir inutilement en entretenant une amitié à distance qui ne lui était d’aucune utilité, car il s’était senti physiquement seul. « Oui, je travaille ici, comme tu peux le voir. Serveur, c’est pas le job dont j’avais rêvé, mais…on fait avec. » Il ne souhaitait pas révéler ce qu’il avait dû endurer avant de venir ici, il avait peur, maintenant qu’il savait qu’ils étaient observés en continu. D’ailleurs, il ne voulait plus y penser, car ça le traumatisait, il avait l’impression d’être un lion en cage. Il se concentrait sur ses retrouvailles avec Cat, ce qui pouvait paraitre caustique dans un moment pareil. D’ailleurs, ils revinrent à la réalité avec les questions de la russe, et malheureusement Kian n’était pas plus avancé qu’elle ne l’était : « J’aurais bien voulu te répondre Cat, mais je n’en ai pas la moindre idée…Je n’ai pas vu le corps, il y avait trop de monde, et concernant cette voix en revanche, je l’ai déjà entendue… » Il regardait à droite à gauche, il avait peur qu’on le surprenne maintenant, mais ça paraissait tellement suspect qu’il ne soit pas allé voir le corps, qu’il ne se méfiait pas seulement des caméras, mais aussi des gens autour, il ne tenait pas à être soupçonné pour meurtre alors qu’il n’avait fait que se laver les mains avant d’arriver…C’était ce qu’il était censé faire…Les calmer, mais évidemment, il ne le ferait pas. Trop peur d’affronter ce monde en délire, trop peur de devoir vivre un de ses cauchemars, avec tous ces gens qui l’étouffaient. « Je fais en sorte de les éviter, oui…de toute façon, je ne saurais pas quoi dire pour les calmer… »

Finalement, légèrement à l’écart de la foule, il parvenait à être serein. Encore une fois ça permettait d’éveiller les soupçons, alors que tout le monde était en train de délirer, de tenter de fuir, et d’avoir peur, lui était droit comme un I comme s’il n’avait rien à craindre, et tapait la discute avec son amie d’enfance. « Je vais bien. Oui très bien. » La répétition montrait qu’il essayait de s’en persuader. Une chance qu’il soit habillé de la tête aux pieds, et qu’il n’ait pas les bras à l’air, ou elle en aurait conclu qu’il ne disait pas la vérité. De toute façon, elle le connaissait bien, il ne s’étendait jamais sur son état, seules ses réactions le trahissaient. Le seul truc qui le gênait était finalement de la retrouver ici, et elle était changée. Malgré la situation, elle semblait être apaisée, et il était curieux de savoir ce qui l’avait rendue ainsi.. « Je te sens différente…Les Etats Unis ont été bénéfiques apparemment…Et si tu m’en disais un peu plus ? » Il faisait carrément l’impasse sur ce qui se passait autour, à présent. Ca en devenait inquiétant. Pour elle c’était bizarre de faire la conversation à côté de ça, pour lui, ça semblait normal. « Comme tu dis, ça doit être une blague, oublies, c’est pas important, racontes moi plutôt. » Kian, ou l’art d’être marginal, de ne jamais faire comme tout le monde, détaché de celui-ci comme s’il n’existait pas.

Il se demandait ce qu’on avait pu leur dire aux invités. On ne lui avait rien dit de splendide à lui, il avait craqué sous la pression. Ces lettres l’avaient un peu perturbé à vrai dire…On lui avait ressorti l’épisode de son père, où il l’avait frappé violemment… Il avait eu peur évidemment que cette histoire se sache, déjà qu’il n’était pas très apprécié, ce n’était pas la peine d’en rajouter. Pire, on l’avait menacé de le faire interner et compagnie. Il ne savait rien à propos des maitres chanteurs qui l’avaient forcé à accepter, mais quand il était arrivé sur l’île, il avait été on ne peut plus surpris de la beauté des lieux, et ne comprenait pas pourquoi on ne lui avait pas dit plutôt que le cadre était paradisiaque, il aurait forcément quitté Birmingham pour ici. Mais il y avait bien une raison à ce qu’il se retrouve là sous les menaces, car finalement, ils avaient fait peur aux invités aujourd’hui, et il ne comprenait pas pourquoi. Qu’avaient-ils fait ces gens ? Et Cat ? Pourquoi était-elle ici ? Super les questions qui se bousculaient dans sa tête. En tout cas, si le mot d’ordre était de survivre, il la protègerait nuit et jour. Il ne pourrait la voir souffrir, même si c’était le sort de ces invités, il voulait voir son amie heureuse, et il était hors de question pour lui de la voir pleurer comme elle l’avait fait quelques années auparavant, ni de la voir souffrir une fois de plus. « En tout cas moi j’ai pas eu de papier super alléchant… Si tu l’as gardé, j’aimerais voir à quoi ça ressemble…Moi j’suis arrivé ici, je me suis demandé si c’était pas une erreur ! » Il avait l’air un peu plus enjoué qu’elle, leurs venues ici étant complètement différentes. Si Kian voyait ici un endroit assez fun, histoire d’oublier la monotonie de sa vie, il sentait tout de même une légère angoisse chez Cat, qu’il aurait bien apaisée, mais il était toujours légèrement distant, car il n’avait pas oublié ce qui s’était passé quelques années auparavant, et il n’avait pas envie qu’elle l’abandonne une fois de plus. Mais comme lui Cat semblait étonnée de le voir ici, et vice versa. Maintenant qu’il y avait eu un meurtre, tous les soupçons étaient permis, mais il était sur qu’elle ne le soupçonnerait pour rien au monde, il n’y était pour rien, ça se voyait non ? Tout de même un peu méfiant, il demanda : « Tu crois quand même pas que j’ai quelque chose à voir avec ce qu’il vient de se passer, si ? » Elle voulait déjà des explications concernant la voix, mais il se sentit soudainement gêné, épié, et surtout il avait peur que la foule accoure au moment où il choisirait de lui dire quand et où il avait entendu cette voix. Une légère grimace sur son visage, et il attrapa Cat, pour l’emmener à l’écart : « Surtout tu ne dis rien. Je ne sais même pas si j’ai le droit d’en parler… » Il recommençait dans ses angoisses et sa psychose pour un oui ou pour un non. Mais soufflant un bon coup, il finit par avouer : « Avant de venir ici…j’ai reçu de drôle de lettres… une offre d’emploi de tout ce qu’il y a de plus normal, mais à mon nom, alors que je n’avais pas envoyé le moindre CV… Puis je l’ai jetée à la poubelle…Le jour suivant, j’en ai reçu une autre, cette fois-ci il y avait quelque chose avec…Une lettre de menace… et ainsi de suite, jusqu’à ce que je reçoive des cassettes, des films qui montraient ma vie…J’suis espionné…. » Il s’arrêta, il regardait à droite et à gauche pas rassuré, et il continua finalement un peu moins sur de lui : « Ils savent Cat… ce qu’il s’est passé lors de la fête… » Il déglutit difficilement. Il s’arrêta. Se rendant compte qu’il n’avait pas répondu à sa question, il le fit : « Il m’a téléphoné…Pour me demander si j’acceptais l’offre d’emploi…Je sais que ça va te sembler bizarre, mais s’il dit qu’il faut survivre, c’est surement ce que tu vas devoir faire.. »

Non conscient du ton qu’il employait puisqu’il murmurait, il ne se rendait pas compte qu’il était surement en train d’inquiéter son amie. Mais elle avait voulu savoir… « Ne dis rien de tout ce que je t’ai dit, tu entends ? » Paniquant, il lui avait serré les bras un peu fort, et il s’excusa tout de suite de cette bévue. La panique le gagnait mais pas pour les mêmes raisons que les vacanciers. Plutôt parce qu’il avait peur que ce soit interdit de révéler quoi que ce soit. Il se calmait peu à peu en parlant d’autres choses, comme des Etats Unis, et elle lui apprit qu’elle était devenue le parfait archétype de la femme. « Vogue…Je ne ferais jamais un quelconque cliché pour eux…C’est disons…trop commercial, ils se contentent de faire quelque chose qui plait pour vendre leur magazine…Et toi tu écris une rubrique spéciale ou bien tu écris un peu ce que tu peux ? » Elle n’aimait pas les Etats-Unis, mais n’ayant jamais fait attention à ce que ce pays était, n’y étant allé que pour des clichés, il jugea bon de ne rien dire dessus, pour ne pas en venir au sujet de l’Angleterre, leur rappelant leur passé.

Au départ de Cat il y avait quatre ans de cela, Kian s’était renfermé sur lui-même, tel une huitre qui ne voulait pas être mangée. Il ne parlait à personne, sauf si c’était pour le boulot. D’ailleurs, sa mère avait constaté un grand changement dans sa façon d’agir. Elle ne lui en avait jamais parlé, mais à partir du moment où Cat était partie, ses crises s’étaient faites plus nombreuses, il avait des réactions de tortionnaire, et il parlait à sa mère comme si c’était son chien. En fait elle n’avait pas fait office de chien, mais de bonne, il ne descendait de sa chambre que pour le diner, sinon, il sortait pour le boulot, et elle n’avait jamais su où il allait, ni pour y faire quoi. Elle avait eu l’espoir qu’il se trouve quelqu’un, et qu’il batte enfin ses vieux démons de ses traumatismes enfantins, comme celui de refuser toute relation sexuelle. Oh oui, il en avait eu des copines, mais toutes étaient vite parties, se rendant compte de la complexité de l’être qu’était Kian. Cat avait été la seule à ne pas fuir. Quoiqu’elle avait fini par le faire aussi… Elle avait jeté le prospectus. Dommage, il aurait voulu l’examiner, pour essayer de trouver un quelconque indice sur l’origine de celui-ci. Peut-être le demanderait-il à un des vacanciers, sans éveiller les soupçons bien sur. « Et le nom de l’île ne t’a pas interpelé ? T’as même pas daigné consulter une carte géographique ? A ta place, je ne serais pas venu ici… » C’était bien beau de le dire quand lui aussi se trouvait là, bien que les raisons restent différentes encore une fois. Il était comme de marbre face à elle, mais c’était simplement de la timidité, voire de la pudeur à en juger sa posture. Il avait ses mains derrière le dos, il se dandinait légèrement sur place, tel un enfant qui attend impatiemment que ses parents reviennent le chercher au terrain de jeu. C’était exactement ce qu’il ressentait : l’abandon d’une amie qui l’avait laissé seul sur le terrain de jeu, et il attendait qu’elle revienne. Et maintenant qu’elle était là, c’était comme avoir une inconnue en face de lui, il ne savait plus comment réagir. Et puis, il avait beaucoup changé entre temps. Il n’avait plus jamais daigné ouvrir son cœur à quelqu’un, partager quelque chose, il s’était forgé une carapace, et ne sortait plus de sa bulle protectrice. Elle lui assurait qu’elle ne le soupçonnait pas mais laissait entrevoir une raison possible de leurs retrouvailles ici… « Qu’est ce que tu insinues ? Que c’est moi qui ai fait en sorte que tu te retrouves ici, pour te ramener près de moi ? » Se braqua-t-il. Décidément, la distance de ces dernières années n’avaient amené que l’incompréhension chez lui, il ne voyait plus la même personne en face de lui, et c’était terrible de voir l’enveloppe charnelle de Cat’ sans y retrouver vraiment son amie. Il était évident qu’elle ne le soupçonnerait pour rien au monde, mais ce dernier avait pris sa question véridique pour une attaque, signe que Kian manquait de discernement, et que quelque chose le gênait finalement plus que ce qu’il n’y paraissait. D’ailleurs les mains derrière le dos, il jouait étrangement avec ses doigts, les tordant dans tous les sens, crispé.

Il venait à présent de comprendre au combien il avait effrayé son amie qui ne semblait même pas le croire, mais plutôt que de rester calme, Kian tempêtait, il s’énervait, petit à petit, croyant qu’elle l’accusait toujours, mais cette fois-ci, de quelque chose de différent : « JE NE SUIS PAS FOU ! » cria-t-il. Observant d’une rapidité déconcertante de droite à gauche de ses yeux, à vous en donner le tournis, il continuait, ses mains maintenant devant lui, qui tremblotaient, cherchant à faire craquer ses doigts pour que ça cesse, il ajouta : « Toi aussi tu crois que je suis fou, n’est-ce pas ? Mais je le suis pas, non je le jure…je ne le suis pas. » Il répétait, il s’en convainquait de cette façon, Kian était tendu, trop-même, il savait que s’il ne parvenait pas à le gérer, on finirait par croire qu’il avait fait quelque chose. Serrant les poings, il respirait bien fort pour se détendre. Elle semblait chanceler, et c’était à peine s’il parvenait à le constater, elle lui demandait ce qu’il faisait ici dans ce cas. Et c’est d’une voix grave, comme perdu qu’il répondit doucement, le regard dans le vide : « Ma mère me déteste…Elle voulait plus de moi… » Ses réactions étant de plus en plus étrange, on aurait pu croire qu’il sortait tout droit de l’asile, mais il était simplement pris d’un état de panique. Toujours de cette voix qui semblait à des milliers de kilomètres de lui, il prononça fixant Cat, sans véritablement la regarder : « Au moins ici, ils voulaient de moi… » Un claquement de doigt, un bruit quelconque non loin de lui, et il reprendrait ses esprits. Et ce bruit vint, le faisant cligner des yeux, enfin lui-même.

Rédactrice mode. C’était toujours mieux que chroniqueuse météo selon Kian. Puis elle se mit à parler étrangement, comme si elle allait lui révéler des choses importantes, mais elle se ravisa, ce qui fit réagir vivement l’anglais qui lui saisit le poignet et qui sans le lâcher lui dit : « Qu’est ce que tu allais dire ? Tu vas pas me laisser en suspens comme ça…T’as commencé, finis ta phrase. » Il lui lacha ensuite le poignet. Il avait vraiment l’air dérangé. Il ne se rendait même pas compte de son attitude, car l’effrayer n’était pas son but, il voulait tout le contraire.

Kian semblait avoir déclenché une dispute le jour de leurs retrouvailles. C’était tout sauf ce qu’il voulait. Il ne comprenait pourquoi elle s’énervait, tandis qu’il essayait de la protéger tant bien que mal. Même si c’était loin d’être la meilleure façon de le faire. Il avait beaucoup de mal à faire la part des choses. Elle l’avait abandonné quelques années en arrière. Il ne pouvait pas l’oublier. Mais c’était surtout elle qu’il ne pouvait oublier. Elle avait toujours été là, sauf après ça. Elle n’avait pu supporter la pression que lui encaissait. Il était habitué, il était si renfermé sur lui-même, que ça n’avait rien changé. Tandis qu’elle avait eu une vie tout à fait équilibrée, et finalement tout ça l’avait bousculée. Et pour la première fois depuis le début, Kian sentait une pointe d’animosité dans les paroles de son amie. Il se défendit : « Je n’ai pas eu le choix, moi ! Je recevais des menaces ! J’suis pas ici par plaisir. Mais si tu veux que je me taise à ce sujet, très bien je le ferais. » Il croisa les bras sur son torse. Il n’était pas boudeur, juste indigné de ce qu’elle lui reprochait, alors qu’il souhaitait juste ne jamais l’avoir vue ici, il ne supporterait pas de voir son corps à la place de celui qui se trouvait dans le restaurant, et pourtant, il n’avait toujours pas vu ce corps. Tourmenté, il prit une inspiration, fermant les yeux, avant d’expirer de façon sonore : « Je veux juste que tu quittes cette île. C’est trop dangereux, t’as pas à être ici. » Mais il resta juste pantois, la bouche ouverte, choqué, quand elle lui dit qu’il faisait pire que ce qu’elle lui avait infligé. Il n’en croyait pas ses yeux. Il rit, nerveusement, et commença à se ronger les ongles pour éviter de dire quelque chose mais ça sortit une fois de plus : « Non mais tu rigoles là ? J’ai fait quoi moi en fait dans l’histoire ? Ne me rends pas coupable de ton choix. » Non, il était coupable de quelque chose de bien pire, et il le savait, mais il le reniait au plus profond de son être, il ne pouvait en parler. D’ailleurs, il ne pensait pas qu’elle comptait en parler un jour elle aussi.

Kian était un être qui s’était toujours senti désespérément seul, et alors qu’il était parvenu à partager sa solitude avec Cat’, elle avait fini par disparaitre à son tour, et ça lui avait perdre le contrôle de lui-même, tout était devenu un cauchemar ambulant dans sa vie. Il avait la tête qui tournait, il se passait la main sur le visage, sachant pertinemment qu’il allait trop loin, mais il ne parvenait pas à se contrôler. Elle lui répétait qu’il était fou, mais qu’il n’était pas le seul. Tel un enfant l’aurait fait pour contredire, il plaqua ses mains sur ses oreilles, refusant d’entendre une fois de plus qu’il l’était. Enfant, on lui disait : « Tu vois un psy parce que t’es taré, t’as un problème dans ta tête, t’es fou. » Et il ne l’avait jamais encaissé. Autrefois, il posait la question au psy, pour qu’il lui donne une réponse, et il lui avait juste rétorqué que non. Qu’il était autre chose. Mais il n’avait jamais su quoi. Retirant ses mains de ses oreilles, il entendit cette petite anecdote qui aurait du le faire sourire, mais il n’y parvenait pas. Il haussa les épaules, et il rétorqua : « J’en ai plus jamais mangé un seul depuis que tu es partie. » Et il revenait encore sur ça. Il allait finir par l’user, et il finirait tout seul si ça continuait. Il la regardait dans les yeux, enfin, pour la première fois depuis qu’il avait commencé à délirer.

Les réactions de Kian eurent le don d’agacer Cat, ça se voyait. D’ailleurs elle le démontra par ses gestes en le faisant reculer par une poussette de la main, et en le défendant de la toucher à nouveau. Il prit mal cette recommandation. Très mal même. Il avait l’impression qu’elle le haïssait. Elle aussi. Perturbé par ses dires, il se sentait vaciller. Si bien qu’il en tremblotait légèrement, et il regardait de nouveau dans le vide. Non il ne s’en foutait pas. Il se mit à lui tourner le dos, serrant les poings le long de son corps, et il répondit, une pointe de tristesse dans le ton de la voix : « Tu crois vraiment que je te déteste ? » Mais c’était tout, il ne dit rien d’autre, il soupirait, une nouvelle fois. Elle parlait de survivre, évidemment. « Je ne risque rien moi. » Dit-il en faisant volte-face. « Mais si tu crois que je vais te laisser survivre toute seule, alors tu te trompes. » Il était sérieux, il la regardait dans les yeux, il n’avait que ça pour la persuader.

Cat voulait apparemment faire perdre pied à Kian, qui lui était étonnamment énervé, lui qui était plutôt d'ordinaire posé, qui se torturait intérieurement plutôt que de montrer un signe de faiblesse, il était incapable de se calmer. Il n'avait pas imaginé les retrouvailles ainsi, il voulait remonter le temps, et s'arrêter sur leur étreinte juste avant de discuter. Mais il ne pouvait pas, il ne se trouvait pas dans le film retour vers le futur ou autre film déjanté ou on pouvait tout recommencer de A à Z si on en avait envie. Alors il cherchait une solution, se disant qu'elle finirait par entendre raison, mais elle le provoquait, et ça il n'aimait pas. Il s'énervait donc toujours plus: « Tu préfères crever plutôt que de t'en sortir sous prétexte que je t'ai dit de t'en aller? Mais tu sais de quoi on parle Cat?! C'est de ta vie dont on parle, c'est pas un jeu! » Il se mettait à jouer les grands frères maintenant. Il semblait que certaines personnes avaient été attirés par les cris, et Kian le redoutait. Il ne voulait pas qu'on s'approche de lui, il allait prendre peur et faire une crise, il était hors de question que quiconque s'approche alors il leur lança: « Retournez voir votre cadavre, et laissez-nous tranquilles, y a pas marqué bêtes de foire! » Il se prit la tête entre les mains. Il fallait qu'il pète un plomb alors qu'il ne le devait pas. Lâchant sa tête, il recommença à tordre ses mains et ses doigts dans tous les sens. Ce qu'il y avait d'étrange, c'était que la jeune femme ne fuyait pas. Elle le connaissait que trop bien, mais elle n'avait jamais eu à supporter de telles crises, non? Mais elle devait savoir qu'il avait besoin d'elle, sans elle il gagnait un aller simple pour l'asile, et il en était conscient. Ressassant ce qu'elle lui reprochait, il resta interdit. Toujours de ce regard vide, cherchant ses mots, il tentait de la convaincre, et de se persuader lui-même à la fois: « Je l'ai fait pour toi... J'ai juste voulu t'aider... » Et comme s'il ne connaissait pas la réponse, il demandait: « Tu m'en veux d'avoir voulu t'aider? Et j'aurais pu continuer même après ça, à t'aider, si y avait besoin, mais tu es partie, et je n'ai rien pu faire...je...» Il regardait de nouveau le sol... A chaque fois qu'il prenait cet air d'ahuri arriéré, il ne se rendait pas compte, mais il n'avait pas les idées en place, il mélangeait tout. « Comprends-moi...tu me l'as caché, j'voulais juste que tu restes... » Mais aujourd'hui, il préférait qu'elle ne reste pas ici. Trop dangereux.

Evidemment si Cat tendait une perche à Kian, il ne l'attrapait pas, et vice versa. Ils semblaient s'en vouloir mutuellement, sans savoir trop pourquoi. Loin des yeux loin du cœur? Non puisqu'ils étaient l'un en face de l'autre et qu'ils n'arrêtaient pas de se disputer. A la phrase de Cat', il ferma les yeux. Il revoyait encore ce qu'il s'était passé, ce qui l'avait poussée à partir. Il était dans un état second, on pourrait le balloter de gauche à droite, qu'il se laisserait faire. Il se souvenait si bien qu'une larme s'extirpa de ses yeux clos et coula le long de sa joue, il ne dit rien. Il se contenta de l'effacer de sa main, reniflant rapidement, feignant de tousser en s'éclaircissant la gorge, comme s'il était juste enrhumé. Se balançant légèrement, tapant le dos de sa tête contre le mur toujours avec plus d'insistance, il serrait les poings, pendant qu'elle lui reprochait de nouveau un tas de choses. Où était passée leur amitié? Eux qui étaient si soudés, ressemblaient à deux aimants qui ont la même polarité.

Il s'en voulait terriblement, il ne la regardait même plus, mais il n'arrivait pas à oublier, parce qu'il n'avait jamais compris pourquoi elle était partie. Et nerveux, alors qu'elle était prête à partir, il lui attrapa la main, et cette fois-ci d'un geste doux; ses yeux embués par les larmes, la tête légèrement penchée, la mine confuse et troublée: « Tu penses pas tout ce que tu dis, pas vrai? » Oh il craignait qu'elle lui dise qu'elle le pensait effectivement, qu'il n'était pas un ami, mais qu'un pseudo-ami, et qu'elle veuille qu'il la laisse tranquille...

Elle avait l'air aussi convaincue que Kian concernant son cas, qu'elle n'allait pas mourir. Pourtant Kian en doutait. Il considérait être intouchable, car il était un employé de ce fou furieux, mais Cat elle, faisait partie des gens vulnérables, puisque c'était un vacancier qui avait été assassiné. Et cet excès de confiance perturbait Kian, qui se rendait compte que depuis la dernière fois qu'il l'avait vue, elle avait bien changé. Peut-être pas en mal, mais il se trouvait en face d'une autre personne. Ou alors c'était lui qui avait oublié comment elle était. Alors il lui rétorquait pour cesser le débat inutile, car il en était finalement convaincu qu'elle s'en sortirait: «  Tant que je serais là, tu ne mourras effectivement pas. » Le jeune Coleman était très lunatique et pas seulement aujourd'hui, mais il était vrai qu'il avait toujours été des plus corrects avec Cat'. Ils ne s'étaient pris la tête que la fois où elle avait foutu le camp. Il ne s'était jamais imaginé à hausser le ton avec elle puisqu'elle possédait la faculté de le calmer, lui qui faisait peur à sa mère, il était aussi doux qu'un agneau avec la jeune Cienwen. C'était pour ça que ça lui semblait bizarre: Kian ne se reconnaissait pas dans ces faits et gestes, mais il ne pouvait aller contre ça. Il n'y avait pas de doute, si elle n'avait pas voulu l'abandonner elle l'aurait emmené avec elle. « Si tu es partie seule, et c'est ça que je te reproche. J'avais besoin de toi, et j'aurais tout donné pour t'aider, mais toi tu es partie et je me suis senti encore plus seul...et surtout responsable de ton départ... » Il baissa de nouveau la tête, c'était comme s'il avouait une chose qu'elle ne savait pas. Et il relevait la tête immédiatement, elle lui reprochait de ne pas l'avoir suivie, et il restait coi la bouche grande ouverte, comme s'il ne venait à ne plus rien y comprendre: « Mais j'attendais que ça que tu me dises de venir avec toi! J'arrêtais pas de penser à toi, mais pour moi c'était impossible d'entretenir notre amitié à distance. Tu voulais que je te raconte comment ma vie est devenue insupportable, parce que tu n'étais plus là? Tu sais le calvaire que j'ai vécu avant de te connaître, il a été multiplié par toutes ces années le jour où tu es parti, j'étais trop vulnérable, et je pensais que t'allais revenir vite, mais non... » Elle avait raison, elle ne lui reprochait pas le fait d'avoir coupé les ponts, il aurait du en faire autant, mais Kian était trop focalisé sur lui-même.

Mais il ne voulait en aucun cas la perdre une fois encore. Il devait y mettre du sien, il le savait. Alors il l'avait rattrapée, touchant sa main, le contact le rendait maladroit à souhait, mais il préférait paraître gauche, plutôt que de la voir s'en aller. Cette amitié était trop forte pour qu'elle se désagrège. Ses yeux ne contiendrait pas longtemps l'équivalent d'une vie sans pleurer, et il voulait retrouver son amie, comme elle en fait. « Alors pourquoi tu veux t'éloigner? » Trop de questions qui le gênaient, trop de questions qui se bousculaient et qui pouvaient tout faire flancher. Et elle lui disait qu'il manquait de réaction. Lui trouvait qu'il réagissait un peu trop... « Cat...s'il te plait, ne me laisses pas tout seul...pas à côté de tout ce monde... » Il avait peur...pour elle en premier lieu, et de se sentir abandonné ici, ses cauchemars qui auraient raison de lui. Il ne lâchait plus sa main, il avait l'air penaud, ou même d'un bébé à qui sa mère manquait terriblement, sauf qu'ici il s'agissait de son amie.